INTERVIEW ORELSAN [ FÉVRIER 2012 ]
« J’essaie d’être un mauvais un peu gentil »
Après deux ans d’attente Orelsan revient sur les devant de la scène avec un deuxième opus, Le chant des Sirènes. Lors de son concert à l’Autre Canal en février dernier, j’ai eu la chance de rencontrer ce rappeur aux paroles reflétant le mal être de notre société.
Comment s’est passée l’écriture de votre nouvel album ?
C’est assez dur. Souvent, dans la musique les deuxièmes albums sont plus difficiles car on n’a plus la fraîcheur que l’on avait avant. Dans le premier, tu amènes un bout de toi, et sur le second il faut trouver le moyen de se renouveler tout en plaisant aux personnes qui ont aimé le premier.
J’ai fait beaucoup de morceaux et j’en ai jetés beaucoup. Il y a eu deux ans entre mes deux albums. Pendant un an je n’ai presque rien fait, mais j’ai surtout fait mûrir le projet.
Pourquoi Le chant des sirènes comme nom d’album ?
C’est d’abord le titre d’une chanson qui parle de tentation, du fait de changer de vie, d’être dans le milieu du show business et d’avoir de la notoriété. Tout cela change une personne. Il y a des tentations assez difficiles à gérer. Mais aussi parce que je suis dans une période de ma vie où je ne suis plus un « djeun’s ». Enfin… je suis encore jeune mais je ne suis plus un « kid », et je ne suis pas vieux non plus, donc je pense qu’il faut faire des choix. Soit je garde les mauvais réflexes que j’ai eu jusqu’à maintenant, soit je change et tente de trouver le juste milieu. C’est ce que j’essaie : être un mauvais un peu gentil. Mais il y a beaucoup de tentations.
Quels sont ces mauvais réflexes ?
C’est un peu de tout : savoir s’investir dans son couple, l’alcool… Mais c’est aussi une philosophie. J’ai l’impression que l’on grandit avec pleins de rêves en tête et on essaie tout le temps de s’amuser au maximum, de fuir les responsabilités et puis d’essayer d’aller voir toujours plus loin. Au final, tout cela est lié aux mauvais réflexes. C’est plein de choses, c’est à la fois l’addiction et les conneries que l’on peut faire.
Par exemple, surfer sur internet et à côté ne pas lire, ne pas s’intéresser à tout ce qui se passe dans le monde. Ce sont des choses importantes. A un moment, tu arrives à un âge où tu n’as pas envie de devenir con. Et puis l’addiction c’est quelque chose d’hyper contemporain pour nous. J’ai l’impression que l’on vit dans une période où il n’y a jamais eu autant d’addictions.
Pourquoi avoir déménagé à Paris il y a quelques mois ?
Quand tu habites à Caen, pour la musique et les rencontres ce n’est pas pratique. Et je n’ai pas une notoriété assez grande pour ne pas être là. Je suis encore obligé de faire des promos. Je rencontre aussi beaucoup d’artistes, chose qui m’arrivait peu avant. J’aime le changement. Après je ne suis pas parisien, ça ne fait qu’un an que j’y habite. Pour moi, la vie c’est Caen. C’est con à dire mais je suis habitué à mettre cinq minutes pour aller n’importer où, à ce qu’il n’y ait personne dans la rue après 23 heures…
Dans vos chansons, justement, ça se remarque que vous restez très attaché à votre ville natale, Caen.
J’en parle beaucoup dans mes textes parce que c’est une question de contexte. Je pense que l’on n’a pas la même vie quand on habite en province ou à Paris, dans le Nord-Ouest ou dans le Sud-Est. Du coup, je parle de Caen pour recentrer l’histoire comme si je racontais celle de la petite marchande d’allumettes. C’est aussi pour bien que l’on comprenne pourquoi je dis certaines choses. Quand je parle de soirées, ce n’est pas comme à Paris, c’est plutôt des soirées où tu vas dans des boites de nuit pourries parce que tu n’as pas le choix….C ‘est plutôt ce type de vie que je connais.
Est-ce que vos nouveaux amis artistes vous ont influencés pour ce deuxième album ?
Oui, un peu. Enfin, il s’est surtout passé un déclic entre le premier et le second album. Tout le temps que j’ai fait mon premier album, je ne me voyais pas comme un écrivain, comme un artiste ou comme un pro. A force, je me suis rendu compte que j’étais chanteur, que c’était mon métier. Écrire des textes c’était ce que je faisais et donc quand je rencontre un autre chanteur, artiste ou écrivain, il y a forcément des points communs quand je discute avec. Au final, j’utilise dans mes textes des figures de style, des codes… Avant de partir en tournée, je me suis dit que ça serait bien de savoir comment ça marche donc j’ai pris quelques petits cours de chant, pour gérer ma respiration.
« Raelsan » c’est quoi, c’est qui ?
A la base, c’est une blague. Des fois on me dit : « Il faudrait savoir, Orelsan, Raelsan….Qui es-tu ? » C’est ironique parce que c’est une allusion directe à Raël, un célèbre gourou. J’ai dit Raelsan car on m’avait souvent attribué le fait de dire des conneries, qu’il ne fallait pas mettre ma musique entre toutes les oreilles et que je pouvais influencer la jeunesse. Donc, j’ai dit : « Bah oui, j’ai joué le gourou pour rigoler ». Mais c’était vraiment juste le titre de la chanson. Quand on a fait le clip on a créé le personnage. Au début, on avait mis un masque. Plus comme accessoire de mode que comme signe distinctif de super héros. On s’est dit, il y a pleins de rappeurs qui ont des lunettes de soleil et c’est cool, car c’est un style. Mais on voulait trouver une alternative. Ça a été ce masque. Ensuite, on a rajouté des effets spéciaux et c’est ainsi que le personnage de Raelsan est né.
Dans « Le chant des sirènes » vous dites : « Cette époque où j’étais perdu d’avance… ».
Vous êtes plus optimiste maintenant ?
J’essaie. Et c’est vrai que ce serait hypocrite de surfer sur le même thème. C’est ce que je racontais dans mon premier album mais après j’ai toujours ce côté défaitiste. J’essaie d’être optimiste mais mon naturel est quand même méga pessimiste. Mais bon, je ne suis plus perdu d’avance. Quand je suis dans une pièce, les personnes m’écoutent en général, ce n’est plus du tout comme avant. Quand je disais « perdu d’avance » il y avait le côté rigolo, fun mais aussi le côté où ça m’énervait vraiment.
Plus rien ne vous étonne ?
A vrai dire, je n’en sais rien. Quand je dis plus rien ne m’étonne je ne dis pas ça dans le sens un peu réac’ c’était mieux avant, maintenant c’est pourri. Je vois plus ça dans le sens où tout peut arriver et donc plus rien ne m’étonne. Car je pense que psychologiquement nous sommes prêt à voir arriver des extraterrestres, je ne trouverais pas ça fou. On est dans une période d’inventions, de nouvelles technologies, donc ça changes nos vies en permanence. J’aime bien tout cela car je n’ai pas envie de retourner à une période où internet n’existait pas. Il y a des progrès partout donc je pense que nos vies sont mieux mais par contre nous développons certaines pathologies bizarres.
Est-ce que « Double vie » et « Finir mal » sont des chansons autobiographiques ?
Pas vraiment. Ça ne m’est pas arrivé comme dans les chansons. Mais je connais l’adultère et la rupture. C’est plus intéressant de mélanger réalité et fiction dans mes chansons. J’aime bien. En plus, quand on ne sait pas trop quand s’arrête la limite.
L’adolescence a été un moment difficile dans votre vie, cela vous permet d’évacuer, de parler de cette période de votre vie dans vos chansons ?
Oui, carrément. Au début, non, je rappais pour le sport et plus ça allait plus ça me permettait d’évacuer. Maintenant, c’est vrai que c’est agréable, ça me permet de prendre du recul sur certaines situations, de les retourner dans tous les sens, c’est important. D’ailleurs je me rends compte que la musique au-delà d’en faire pour un public, ça apporte beaucoup personnellement. C’est toujours bien d’écrire sans aucune ambition.
Dans « La terre est ronde », vous dites que l’on se sent toujours mieux à la maison. C’est quelque chose que vous ressentez toujours ?
C’est une métaphore. Ça ne sert à rien d’aller chercher ailleurs, c’est bien de revenir sur ses bases. Que ce soit justement pour parler d’adultère, au bout d’un moment, à multiplier les conquêtes, ça n’apporte pas grand chose. C’est aussi bien de le faire, mais il y a un moment où tu as envie de rentrer à la maison.
C’est une forme de maturité mais en même temps c’est des choses que l’on sait, que tout le monde te dit, c’est connu mais tant que tu ne l’as pas testé, ce n’est pas pareil. Et c’est bien de rappeler les bases et de se vider le cerveau de tout ce qui nous embête.
« Suicide sociale » a pour but de dépeindre ou de dénoncer notre société ?
C’est un mélange. Déjà, le but quand je fais une chanson c’est qu’elle soit bonne. Après le reste, c’est plutôt des moyens que des fins. Je ne fais jamais une chanson en me disant que je vais allumer quelqu’un. « Suicide social »c’est plutôt quand tu as la haine et que tu es ultra négatif tu peux te sentir oppressé. Pour moi la société française est organisée de façon assez communautaire. Tu peux vite te voir d’un œil noir. C’est aussi pour cela qu’il y a beaucoup de racisme. Je sais qu’il y a des choses que je dis qui me sont déjà passé par la tête. Tout ce que je dis dans cette chanson ce sont évidemment des clichés. Car à partir du moment où tu parles de personnes en groupe, c’est faux. C’est aussi pour le côté « je m’en prends à tout le monde et puis je me fous en l’air ».
« Elle viendra quand même » est une chanson qui évoque la mort. C’est angoissant pour vous ?
Grave, à fond. D’ailleurs j’oublie tout le temps cette chanson. Avant je ne me posais même pas la question de mourir ou pas, je n’en avais rien à foutre. Ça ne me passait pas par la tête et maintenant que je suis heureux, que tout est cool, il faut que je trouve un moyen d’être moins heureux. J’y pense assez souvent, comme beaucoup de personnes et c’est évidemment assez stressant.
La polémique de « Sale pute » vous a plutôt servi ou desservi ?
Sur le coup, ça m’a vraiment desservi parce que ça m’a annulé la moitié de la tournée. Quand tu fais un album et que tu pars pour la première fois en tournée et que l’on te dit qu’il y aura des dates annulées, ce n’est pas cool. Et puis, on m’a retiré les disques des bacs, c’était de la super mauvaise pub. Cette polémique a tellement été pleine de mauvaises fois avec des associations et des personnes qui ne cherchaient pas à comprendre.
Donc ça m’a porté préjudice pour ma carrière au début et puis comme l’album a été bien reçu, et que l’on a bien réussi à faire du mouvement autour, le public a commencé par se dire qu’il s’était trompé à mon sujet. Ça a eu l’effet inverse, car je suis devenu le gars sur qui on s’est trompé.
Marion Gatinel